Vernissage de l’oeuvre murale et rencontre-Dédicace avec l’artiste Bruce Clarke

Cher Bruce Clarke, je ne sais qui remercier : l’homme, le citoyen, l’artiste que tu es ? Difficile de dissocier l’un de l’autre, tant ton œuvre est à la croisée de ces trois lignes de force.

La résidence en arts plastiques que tu viens de passer parmi nous, ici à Vénissieux, est une chance pour notre ville. Tu nous laisses plus qu’une fresque, magnifique au demeurant, tu nous laisses ton empreinte, ta vision du monde et de la nature humaine.

Un endroit de Vénissieux est devenu un lieu de Vénissieux, voilà ce que l’art parvient à transfigurer. Et c’est parmi les Vénissians, avec les Vénissians, au fil des échanges et des rencontres, que la fresque a évolué, pris forme, et s’est matérialisée, avenue Pierre Sémard. Des Vénissians l’ont déjà vue, d’autres la découvriront, à chacun de se l’approprier. Je ne reviendrai pas sur cet art du collage, de l’assemblage mot-image, des effets de transparence qui font que tes œuvres sont immédiatement identifiables, reconnaissables, en un mot uniques. Non, ce qui me frappe le plus, c’est ta capacité à avoir intégré l’histoire et l’identité vénissiane, dans ton propre espace de création.

Cette phrase déjà de Lise London, « savoir dire non », militante communiste, grande figure de la Résistance contre l’occupation nazie. Lise London a vécu à Vénissieux, où elle a étudié la sténo avant de devenir secrétaire aux usines Berliet. Et puis, il y a ce visage qui s’avance vers nous, un visage qui dit non, au racisme, à la colonisation, à la guerre d’Algérie, à l’oppression des peuples par des puissances étrangères, c’est le visage de Frantz Fanon. Autour de lui, il y a des éclats de notre mémoire, les chibanis, les enfants juifs sauvés de la déportation du camp de Bac Ky, des éclats de la diversité culturelle vénissiane.

Oui, cette fresque murale, c’est Bruce Clarke à Vénissieux, et c’est Vénissieux dans l’imaginaire de Bruce Clarke.

Ce n’est un secret pour personne, nous nous connaissons depuis plusieurs années, et avons travaillé ensemble à l’occasion de la sortie de mon livre « Alors maintenant, que la lutte soit belle… ». J’ai découvert tes œuvres à la fin des années 90. L’œuvre murale de Vénissieux s’inscrit dans le prolongement logique de ton travail : comment la figuration peut interroger le réel, le passé, poser des questions, s’inscrire dans une dimension sociale, sans porter de jugement, ni de regard en surplomb. La beauté esthétique de tes peintures ne fait pas écran, à la proximité humaine qui la nourrit. Humilité et très grand savoir-faire, comme quoi la figure de l’artiste, inaccessible, détaché de tout, relève bien souvent du cliché.

J’espère que cette résidence, au contact des Vénissians t’a apporté tout autant, que ta contribution artistique nous a enrichis. D’après ce que je crois savoir, cette fresque constituait aussi un défi pour toi, car c’est l’une des plus grandes que tu aies réalisé jusqu’à présent, avec des matériaux différents. Et au défi artistique s’est ajouté un défi physique inattendu, avec des températures qui n’invitaient pas à peindre sur un mur en plein soleil.

A chacun ses goûts esthétiques, (il n’y a pas d’unanimité en art, heureusement), mais les retours que j’ai eus pour la réception de ta fresque, sont déjà très bons. Au fur et à mesure que ta peinture avançait, avenue Pierre Sémard, des véhicules, des habitants s’arrêtaient, pour engager la conversation, t’encourager et te féliciter. Tu voulais réaliser une œuvre murale équilibrée, avec un point central, un point d’appui, c’est le visage de Frantz Fanon. Ce choix, après avoir échangé avec les Vénissians, te ressemble. Frantz Fanon est très connu dans certains milieux, moins dans d’autres, ses combats et ses écrits ont d’ailleurs eu plus d’échos à l’étranger qu’en France.

Les Black Panthers aux Etats-Unis s’en étaient inspirés, et il a accompagné bon nombre de mouvements d’émancipation, pour les droits civiques. Jamais récupéré par les courants politiques, il a vécu ses convictions sans compromission, et ce que tu apprécies par-dessus tout, il a défendu des convictions, auxquelles sa brillante carrière de médecin ne le prédestinait pas. Anecdote surprenante : au cours des échanges de ta résidence à Vénissieux, tu as croisé une personne dont les parents faisaient passer Frantz Fanon clandestinement, en Italie ou en Suisse.

Ce qui t’a plu à Vénissieux, c’est de retrouver un langage commun, des valeurs communes avec les habitants, une culture populaire et diversifiée, ici comme à Saint-Ouen où tu habites, en France comme dans tous les pays que tu pars rencontrer. Culture de l’engagement, culture de la solidarité, culture d’hommes et de femmes qui ne veulent pas courber l’échine, culture des humanités, quelles que soient les latitudes ou le nom des villes, il est rassurant de retrouver ces valeurs dans le regard des autres.

Alors oui, cher Bruce, je te remercie pour l’œuvre que tu nous laisses, et pour cette résidence que tu as acceptée avec enthousiasme. Tu nous laisses une œuvre, et tu laisses de beaux souvenirs dans le cœur des Vénissians que tu as côtoyés. Toi qui luttes, à travers ton art, contre le racisme, l’intolérance, et pour la fierté retrouvée des peuples, je t’adresse cette phrase de Frantz Fanon, je le cite : « Si tu ne veux pas l’homme qui est en face de toi, comment croirais-je à l’homme qui peut être en toi ? ».

Je vous invite à nous rejoindre aux Editions La passe du Vent et l’Espace Pandora, pour une séance de dédicaces et d’échanges avec Bruce Clarke, et je vous remercie.

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