Lancement de la résidence artistique de Bruce Clarke

Cher Bruce Clarke,

C’est un immense honneur que tu nous fais, en acceptant cette première résidence d’un plasticien à Vénissieux.

Théâtre, littérature, musique : nous tenons à ces résidences, car elles permettent une proximité avec le territoire et les habitants, et elles ont l’avantage de s’inscrire dans la durée. Au cours d’une résidence, on voit et on revoit l’artiste, on réfléchit entre les rencontres, on approche sa propre créativité, sans qu’il s’agisse tout à fait de cours ou d’ateliers. L’échange et l’enrichissement sont mutuels, et on ne peut pas imaginer le levier culturel, sans cette forme de dialogue direct, d’enrichissement réciproque.

Ce n’est un secret pour personne : nous nous connaissons depuis plusieurs années, nous avons travaillé ensemble pour la sortie de mon livre « Alors, maintenant, que la lutte soit belle », et nos routes se sont croisées dans ton atelier à Saint-Ouen, lors de ta résidence à Apt, et ici même, lors de tes précédentes visites.

Notre ville populaire, ses habitants, la démocratie culturelle que nous y défendons, les équipements dans lesquels nous avons investi, t’ont marqué et t’ont plu, je le crois. Mais je voudrais surtout te présenter aux Vénissians, présenter l’homme que tu es, si proche, sur le fond, de l’artiste que tu es.

J’ai utilisé l’expression « habitant du monde » à dessein. Tu es né à Londres, de parents originaires d’Afrique du Sud, qui ont fui ce régime ignoble de l’apartheid. Une naissance, déjà sous le signe du combat et de l’engagement pour les droits de l’homme, pour la liberté et la démocratie.

Après un crochet par le Mexique, tu t’installeras en France, et deviendra membre de la branche française de l’ANC, le parti de Nelson Mandela.

Peut-être est-ce dans ces années nomades et ces années d’engagement, que la réflexion sur ton art prend forme.

Quelle forme et quelle force lui donner, pour qu’il puisse interroger, poser des questions, s’inscrire dans une dimension sociale, pour re-figurer l’homme et le corps, comme objet de présence humaine et de lutte politique.

J’ai découvert tes œuvres en 1998, à travers un reportage que Télérama t’avait consacré. Notre rapport à l’art passe par l’émotion, par quelque chose de direct, et c’est ce rapport immédiat que j’ai ressenti avec tes toiles. J’ai presque envie de dire que c’est le tableau qui nous choisit. Dans un même cadre, les collages, les fragments déchirés, les mots et l’utilisation de journaux, d’affiches, les corps, les visages qui se détachent, les effets de transparence m’ont de suite « parlé ».

J’insiste sur ce verbe « parler » car l’emploi des mots forme nos liens, et tu sembles nous dire que le message qui transite en nous, est plus important que nous-mêmes. Tu parles ainsi d’hommes, de femmes, de présence et d’absence, de notre quotidien aussi, à travers l’utilisation de la presse, mais le tout est déplacé et replacé dans un autre contexte.

C’est un artiste tourné vers les autres, pas un artiste inaccessible, perché en haut de son ego, que les Vénissians vont découvrir. C’est une belle rencontre qui s’annonce, entre toi et les habitants, une rencontre placée sous le signe de la chaleur humaine.

Cette résidence artistique sera féconde, je n’en doute pas un instant, car tu sais mener des projets sur la durée, malgré les difficultés, malgré les obstacles. « Les hommes debout », que tu as réalisé en 2014, en est la preuve. Ce projet collectif de peinture murale, sur les lieux de mémoire du génocide des Tutsi au Rwanda, a marqué les esprits, par sa force, par ce travail de réappropriation d’espaces, marqués du sceau de la violence, de la barbarie. En peignant des hommes, des femmes et des enfants plus grands que nature, jusqu’à 5 mètres de hauteur, le projet des Hommes debout a redonné une dignité, à ceux qui ont été confrontés au génocide.

Il a montré aussi combien l’art pouvait intervenir, et jouer un rôle majeur, dans le mouvement de reconstruction des individus et du peuple Tutsi.

Pendant deux mois, jusqu’aux Fêtes Escales, où sera organisée une exposition de tes oeuvres, tu vas aller à la rencontre des Vénissians, pour mener à bien un projet collectif. Il s’agira de choisir des personnalités marquantes, qui ont changé le cours de l’histoire, et à travers lesquelles, les habitants se retrouvent et s’identifient. Ces figures illustres constitueront la matière d’une fresque pérenne de Bruce Clarke, sur le mur d’enceinte du Centre Technique Municipal, côté Pierre Sémard.

Les ateliers rencontres avec les habitants auront lieu dans les locaux de Bizarre, place de la Paix, et aux Ateliers Henri Matisse à Moulin-à-Vent, les 16, 18, 23 et 25 juin.

Cher Bruce, tu connais déjà Vénissieux, mais à partir d’aujourd’hui, et pendant deux mois, tu vas y vivre, y travailler, y créer, y respirer. J’espère que cette immersion t’apportera de nouveaux espaces de création, de nouvelles sources d’inspiration. Tu découvriras une ville, des habitants et une majorité municipale qui se battent pour garder l’humain, comme dans tes tableaux, au cœur de nos préoccupations.

Entouré, j’allais dire encerclé par ce monde libéral déshumanisé, nous tenons le cap pour garder une politique culturelle ambitieuse, écrin du vivre ensemble, levier de l’aménagement du territoire.

Des résidences artistiques (théâtre, littérature…), ou comme celle que tu vas commencer, des équipements de qualité au service du plus grand nombre, un budget culture de 9%, des manifestations nombreuses tout au long de l’année, un festival musical gratuit, Les Fêtes escales… Je ne vais pas lister toutes les initiatives qui animent la vie des quartiers et rapprochent les habitants, mais le socle culturel, ici peut-être plus qu’ailleurs, fait partie de notre histoire et de notre identité, car il est indissociable du socle républicain qui nous rassemble.

A l’artiste debout que tu es, bienvenue dans notre ville debout, Vénissieux, belle et rebelle. Une ville qui se bat pour une démocratie de culture, pour la création et la liberté d’expression, pour l’émancipation et la transmission entre les générations.

Nos combats sont un peu les tiens, alors, au nom de tous les Vénissians, je te souhaite un excellent séjour parmi nous.

Merci à vous tous.

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