Journée nationale de la Résistance

… »Quand la ville de Vénissieux défend les savoir-faire, les emplois, quand elle défend la culture et le vivre ensemble, elle fait acte de résistance. »…

« C’est dans l’inespéré que réside l’espoir ».

Cette phrase d’Edgar Morin est le moteur de toutes les résistances. Résistance à l’oppression et à l’occupant comme dans les années 40. Résistance à la colonisation comme dans les mouvements d’indépendance et d’autonomie des peuples. Résistance à des modèles économiques, comme aujourd’hui face au libéralisme qui détruit tout autant les hommes que l’environnement.

Le verbe résister n’est pas un verbe du  passé. Il se conjugue à tous les temps, temps présent, temps du conditionnel pour construire le temps de l’avenir. Ce qui change, c’est le contexte bien évidemment.

Basculer dans la résistance en 1940 était un choix radical, sans retour possible, où le cours de la vie normale était rompu net. On engageait ses idées, on engageait son corps, on engageait sa famille et ses proches, on s’engageait dans la clandestinité, on s’engageait dans un combat où le drame et le prix du sang constituaient bien souvent l’épilogue tragique.

En face, il y avait les milices de Pucheux, Vichy à la solde du nazisme, il y avait des personnes auxquelles on ne pouvait se fier, des paroles à ne pas prononcer, des traques, des dénonciations, des séances de torture pour faire tomber le réseau de résistants.

Les femmes et les hommes qui ont sauvé la France, la liberté et la République, ont tous dû faire preuve d’héroïsme, une réponse quasi instinctive qui leur a permis notamment, de passer au-delà de la peur, de lever le front, quand tout incline à courber l’échine.

La résistance comme état d’esprit, c’est Raymond Aubrac qui en parlait le mieux, j’ouvre les guillemets :

« Il faut être optimiste, c’est cela l’esprit de résistance. On ne le dit pas assez. Tous les gens qui se sont engagés dans la Résistance, ou avec le général de Gaulle, ce sont des optimistes, des personnes qui ne baissent pas les bras, qui sont persuadées que ce qu’elles vont faire, va servir à quelque chose. »

La résistance comme état du lien social. Bon nombre de jeunes d’à peine une vingtaine d’années rejoindront des mouvements de résistance par camaraderie, par envie de fondre l’individu dans une appartenance collective.

La résistance comme état du corps, et c’est Germaine Tillion qui vomit physiquement, car c’est plus fort qu’elle, en entendant pour la première fois, la voix du maréchal Pétain à la radio.

Ce que chacun cherchera, c’est une structure à même de fédérer les différentes sensibilités, une organisation à même d’associer différents courants politiques, dans un même esprit de combat unifié.

Jean Moulin, De Gaulle, Issack Manouchian et les FTP MOI, les tirailleurs sénégalais, algériens, les combattants de l’outre-rhin, la France des humbles et des maquis, la France des justes : pour chacun d’entre eux, plus qu’une question de vie ou de mort, l’entrée en résistance était avant tout une question d’honneur.

Fierté personnelle de dire non, fierté collective de défendre une certaine idée de la France et de la remettre sur les rails de son histoire : l’esprit des lumières, l’attachement viscéral aux valeurs républicaines.

Trop souvent, l’histoire de la résistance s’est résumée à une histoire d’hommes.

L’entrée au Panthéon de Germaine Tillion ne répare pas simplement une injustice, elle met des noms de femmes sur les blancs et absences d’un récit national tronqué.

Lucie Aubrac, Lise London, Olga Bancic, Berthie Albrecht, Danielle Casanova, Elsa Triolet, Cécile Rol-Tanguy, femmes du Nord, femmes basques, corses, bretonnes, femmes immigrées, leur rôle dans la lente marche vers la libération de notre pays ne peut être dissocié de celui des hommes.

Au-delà des différences, au-delà des sexes, le dépassement de soi irrigue l’élan de la Résistance dans ce qu’il a de plus indestructible : la force de la vie, la force de la liberté, la force de caractère, la force de l’esprit plus fort que la soumission, plus fort que la domination, plus fort que la violence et la bêtise de l’oppresseur.

Si le premier temps de la résistance est un NON à quelque chose que l’on veut nous imposer, ce refus implique aussi un oui, c’est-à-dire une volonté de construire une autre société.

Le plus bel exemple d’une résistance active dans notre histoire collective porte bien évidemment le nom du CNR. Bras armé de la reconquête de nos libertés contre Vichy et force pensante et innovante du modèle social français à imaginer et mettre en place, le Conseil National de la Résistance a réussi à s’opposer et à construire.

C’est ce sens-là que je donne au verbe résister.

Il serait réducteur et maladroit de comparer les résiliences à travers le prisme de l’histoire. De même qu’il s’avèrerait malsain de vouloir les hiérarchiser, d’en trouver l’une supérieure à l’autre. Ne serait-ce qu’écrire un simple tract sous l’occupation ou le glisser dans une boîte aux lettres, c’était déjà entrer en résistance.

Où en sommes-nous aujourd’hui dans nos luttes et nos combats ? C’est à cette question qu’il nous faut répondre.

La désaffection des urnes, la défiance envers les politiques menées depuis des dizaines d’années en France, et dictées par Bruxelles, pourrait faire croire à un encéphalogramme plat. Illusions trompeuses, car il existe aujourd’hui en 2016 des résistances. Les Indignés, Occupy Wall Street, Nuit Debout, il y a une émergence citoyenne diffuse, dispersée et atomisée certes, mais elle existe.

Comme souvent dans l’histoire, les forces de changement sont minoritaires, marginales, périphériques. Il faut les enregistrer comme des manifestations d’une prise de conscience, des signes, ici ou là, que les lignes bougent, qu’un autre modèle peut émerger.

La guerre de nos jours n’est pas physique, du moins en Europe, mais bien économique, il n’en demeure pas moins que c’est une guerre.

Pour Edgar Morin, le délitement du lien social explique en partie l’existence de résistances éparpillées, auxquelles il manquerait à ce jour une pensée plus large. N’est-ce pas là justement le rôle des partis politiques, capables d’organiser, de structurer et fédérer les idées innovantes en un projet de société ?

Je reviens à Edgar Morin, que je cite :

« A l’époque de la seconde guerre mondiale, il y avait une fraternité entre ceux qui résistaient, même quand ils appartenaient à des mouvements différents. Actuellement, même si l’on pense pareil, nous sommes très dispersés. Il est plus difficile de prendre conscience des différentes menaces, on est comme des somnambules.

La jeunesse est en désarroi, les vieux sont désabusés, ils ont cru à la civilisation occidentale, à la démocratie, à toutes les promesses. Aujourd’hui, il existe une perte d’espoir en l’avenir. La précarité grandit même au sein des classes moyennes qui se trouvent déclassées. Et au fond cette précarité devient source d’angoisses qui elles-mêmes emportent vers des régressions politiques et psychologiques très graves ».

Et d’enchaîner avec une analyse très pertinente :

« Pendant ce temps, on agite nos gris-gris de la compétitivité et de la croissance. Nous sommes enfermés dans des calculs qui masquent les réalités humaines. On ne voit plus les souffrances, les peurs, les désespoirs des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux. Or, le calcul est l’ennemi de la complexité, car il élimine les facteurs humains qu’il ne peut comprendre ».

C’est contre cette société déshumanisée que doivent se dresser nos résistances, contre les barbaries qu’elle produit parmi nous.

La plus commune ronge à nouveau l’Europe. Le mépris, le rejet, le racisme, la xénophobie, terreau de l’extrême droite, s’expriment à haute voix, montent dans les urnes en France comme ailleurs et créent les conditions d’un péril à nouveau possible. Le nationalisme, de tout temps, c’est la guerre.

L’autre barbarie, c’est celle du capitalisme financier, qui broie les hommes, femmes et salariés, qui détruit les souverainetés des Etats et neutralise toute velléité de résistance politique.

En dépossédant les citoyens de leur histoire et de leurs moyens d’expression, elle crée les extrêmes, qu’ils soient religieux, politiques ou territoriaux, et souffle sur les braises de la haine.

La résistance n’offre pas une solution, elle ouvre une voie. Ces résistances sont à portée de main, dans nos citoyennetés, en chacun de nous.

Quand la ville de Vénissieux défend les savoir-faire, les emplois, quand elle défend la culture et le vivre ensemble, elle fait acte de résistance. Quand les enfants du CME déploient des politiques de solidarité et environnementales, ils résistent à l’indifférence, aux injustices sociales, contre le gaspillage et pour le respect de l’environnement. Par la culture, la peinture, l’écriture, le chant, par l’engagement associatif, résister, c’est créer, résister, c’est aussi, et surtout exister.

Je finirais par un mot de la philosophe Simone Weil, qui définit si bien les pulsations de toutes les résistances humaines : « une nourriture indispensable à l’âme humaine est la liberté ».

Je vous remercie.

 

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