Journée de la Résistance

En juillet 2013, le Sénat a instauré le 27 mai, date anniversaire de la création du CNR, comme journée nationale de la Résistance.

Notre ville n’a pas attendu cette loi pour l’inscrire, depuis de nombreuses années, à son calendrier des commémorations. Car il nous est toujours apparu que la transmission aux jeunes générations d’une histoire partagée, assumée et mise en perspective, posait les jalons de la citoyenneté, de l’esprit critique et du vivre ensemble. Elle offre une lecture du monde contemporain plus réfléchie, plus enrichie, plus féconde.

Cette journée de la résistance 2015 est aussi particulière, puisqu’elle s’insère parmi deux autres dates anniversaires : les 70 ans de la libération des camps, et les 70 ans de la capitulation sans condition des armées nazies.

Quatre figures de la résistance, choisies par François Hollande, vont entrer au Panthéon, ce jour : Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette, Jean Zay, auxquels on aurait pu ajouter, sans créer de vaines polémiques, des résistants communistes comme Missak Manouchian, Martha Desrumaux, Marie-Claude Vaillant-Couturier.

Le mot Résistance renvoie directement aux années 39-40, au cauchemar de Vichy et de Pétain, des milices de Pucheu, qui traquent, torturent et déportent les opposants, les juifs, les minorités. Cette Résistance-là fut héroïque, mais elle est aussi l’héritière de la Commune, de Louise Michel, de 1848, de 1789, d’une histoire de la France, attachée à la liberté et à la République.

Il y a un trait d’union à travers ces combats et ces siècles, comme il y a un trait d’union parmi la Résistance sous Vichy.

Les hommes et les femmes qui la composent, ont comme point commun d’appartenir à une collectivité clandestine, souterraine, qui élabore ses propres règles face à la soumission, la collaboration et la résignation. Le terme des Résistances serait même plus approprié que la Résistance, en tant qu’entité. Car ce qui frappe notre imaginaire, c’est la formidable diversité des mouvements. Le corps de la résistance est un corps multiple, mais uni par un idéal.

Il y a les résistants déportés et non déportés, il y a les résistants français et immigrés, il y a des communistes et des gaullistes, des socialistes et des syndicalistes, des hommes de droite comme des progressistes. Il y a les résistants juifs et les justes, il y a des femmes aussi, beaucoup plus qu’on ne le croit, (j’y reviendrai), ou encore ceux de la 2ème DB du général Leclerc. Diversité des catégories sociales avec des ouvriers, des paysans, des enseignants, des fonctionnaires, des militaires, mais aussi des membres du clergé…

La Résistance est une mosaïque sociologique et d’addition dans le temps : les résistants de 40, des maquis et de la première heure, les résistants du cœur de l’hiver 42-43, qui donne au mouvement son caractère social et national, ou plus tardivement encore, de l’été 44. Il y a même cette expression sarcastique et ces trois lettres « RMS » pour qualifier ceux qui ont retourné leur veste, au tout dernier moment : RMS, les Résistants du Mois de Septembre…

Différence notable également, entre une résistance qui va se structurer et une résistance ponctuelle, non organisée, mais sans laquelle rien n’aurait été possible. Comment ces hommes et ces femmes sont-ils sortis de la guerre ? Le premier constat, le plus terrible, concerne les résistants de 40. C’est parmi eux que l’on compte le plus de victimes, une famille du premier instant, du premier engagement, particulièrement décimée. Sortir de la guerre revient à sortir de la stigmatisation mise œuvre par Pétain et le régime de Vichy.

Passer de l’ombre à la lumière. Passer de la clandestinité, d’une vie exposée au danger quotidien, à la liberté recouvrée. Pour bon nombre d’entre eux, cette transition ne sera pas facile. Les règles de la collectivité, les codes acquis, la nécessaire obligation du secret, de la méfiance, façonnent les comportements.

Lorsque la Libération de 44 intervient, ce quotidien de l’ombre vole en éclats. En cinq ans de résistance, les jeunes qui se sont engagés dans les maquis ou mouvements, ont accompli plus qu’ils ne pensaient. Ils ont libéré un pays, œuvré à la chute de Vichy et du 3ème Reich, pourtant, à la sortie de la guerre, tout reste à faire, une nouvelle vie s’offre à eux, à laquelle personne n’était préparé.

De même, pour les résistants déportés, qui bien souvent avaient porté un deuil, et avaient été meurtris et marqués par l’enfer des camps ou de la torture, le retour au réel prend une autre dimension. Si en effet la mémoire de la résistance a été portée par les résistants, au sein de la famille, de génération en génération, la mémoire de la déportation, elle, s’est avérée moins communicable, quasi refoulée.

L’histoire de la Résistance n’est pas seulement une histoire d’hommes. « Sans les femmes, la moitié de notre travail aurait été impossible », reconnaît le Colonel Rol Tanguy. Editer des journaux, cacher des clandestins ou des enfants juifs, saboter des voies, faire sauter des trains, transmettre des messages, les femmes résistantes se sont employées sans compter, dans le mouvement de libération de la France. Elles furent nombreuses à rejoindre le maquis, participant également à des opérations armées. Comment expliquer dès lors, la relégation qui les frappe à la sortie de la guerre ?

Elles ne sont que 5, oui, 5 sur plus de 1 000 décorées des Compagnons de la Libération ! 5% de femmes seulement parmi les Médaillés de la Résistance, 12% dans le cadre des Combattants Volontaires de la Résistance, reconnaissances qui donnent droit à pension. Leur rôle est indéniable et incontestable, mais il n’est pas mis en valeur par des procédures socialisées. Elles sont soit en arrière plan, soit « la femme de… ».

Le droit de vote des femmes, acté à la fin de la guerre, ne leur a pas été offert, les femmes sont allées le conquérir, au bout d’un long et lent processus, que leur engagement dans la résistance a favorisé, et que l’esprit progressiste du CNR a accéléré. Mais jusqu’à la fin des années 70, les résistantes ne représentaient, en moyenne, que 2 à 3% des noms cités dans les ouvrages consacrés à la Libération. « L’impôt du sang n’a pas suffi à fonder l’égalité », souligne l’historienne Hélène Eck.

Dans l’inconscient collectif de l’après-guerre, après un curieux effet d’inversion, l’image de la femme tondue pour fait de collaboration, va s’imposer à celle de la femme engagée dans le combat de la libération.

Pourtant, pour certaines d’entre elles, et je pense notamment à Germaine Tillion, la Résistance ne prend pas fin en 44, elle va se poursuivre sous d’autres formes, et dans d’autres combats : contre la guerre d’Algérie, contre la colonisation, contre, en fin de compte, l’asservissement et l’oppression, sous quelque forme que ce soit.

Lise London, Lucie Aubrac, Olga Bancic du groupe Manouchian, déportée, puis guillotinée car selon l’idéologie nazie « une femme ne mérite pas une balle ». J’ouvre une parenthèse lourde de symboles : bon nombre de femmes étaient tout simplement décapitées à la hache. Je ferme la parenthèse.

Berthie Albrecht, Danielle Casanova, Elsa Triolet, Cécile Rol-Tanguy, les femmes du Nord, basques, corses, bretonnes, les femmes immigrées, oui, le courage a été féminin, et l’histoire ne saurait être complète sans ce récit écrit par celles qui, comme les hommes, ont osé dire non.

La Résistance est plurielle, les leçons qu’on en tire, aujourd’hui encore, sont multiples.

Ce qui a réuni ces hommes et ces femmes a dépassé ce qui pouvait les diviser. La collectivité qu’ils ont formée, pour défendre les principes républicains, se situe au croisement de la solidarité et de la fraternité.

Rien n’est possible sans espoir partagé, sans une forme d’insouciance, face au sentiment de résignation. Raymond Aubrac nous le rappelait : « Il faut être optimiste, c’est cela l’esprit de résistance. On ne le dit pas assez.

Tous les gens qui se sont engagés dans la résistance ou avec le général de Gaulle, ce sont des optimistes, des personnes qui ne baissent pas les bras, qui sont persuadées que ce qu’elles vont faire va servir à quelque chose ».

Même si elle a contribué de façon active à la chute du 3ème Reich et du régime de Vichy, l’apport de la Résistance est certainement plus politique que militaire. La force du CNR est d’avoir compris et anticipé la question de la sécurité, pas seulement de la nation, ni même du territoire, mais d’une sécurité au sens beaucoup plus large.

Sécurité économique, sécurité des salariés, sécurité d’accès aux soins, au logement, à l’éducation pour chaque citoyen. Cet héritage, sous lequel nous vivons encore, malgré les ravages du libéralisme, est immense. Sécurité sociale, système des retraites par répartition, droit de vote aux femmes, droit des salariés et des représentations syndicales, aucun de ces socles républicains n’aurait pu voir le jour sans les résistants, sans ces hommes et ces femmes qui ont tout sacrifié, pour défendre une France libre, une France héritière de 1789, une France réconciliée avec elle-même et son histoire.

A l’heure où les intolérances et l’extrême droite rongent notre république, il est urgent de défendre et de transmettre cet héritage, de redonner un sens et un idéal commun au temps présent.

André Malraux a su rappeler les heures sombres et ambivalentes de notre pays : « Dans la Résistance, la France reconnaissait ce qu’elle aurait voulu être, plus que ce qu’elle avait été ».

Mais c’est bien cet impossible et cet idéal, qu’une minorité d’hommes et de femmes est allée conquérir.

Je vous remercie.

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