1936 et le Front populaire

« 1789, 1848, 1936, le CNR, 1968, toutes ces dates sont notre histoire, des périodes charnières où des conquêtes sociales, politiques et philosophiques ont été acquises de haute lutte. 1936 est celle de la victoire électorale du Front populaire, une année cruciale pour les classes populaires qui ouvre de nouveaux espoirs. »

1789, 1848, 1936, le CNR, 1968, toutes ces dates sont notre histoire, des périodes charnières où des conquêtes sociales, politiques et philosophiques ont été acquises de haute lutte. 1936 est celle de la victoire électorale du Front populaire, une année cruciale pour les classes populaires qui ouvre de nouveaux espoirs.

Sans l’engagement syndical de la CGT et des ouvriers, les accords Matignon signés le 8 juin 1936  n’auraient sans doute pas eu la portée que nous leur connaissons : augmentation des salaires (7 à 15 %), reconnaissance du droit syndical dans l’entreprise et adoption du principe des conventions collectives. Mais aussi et pour la première fois dans toute l’histoire de France, la mise en place des congés payés, la semaine des 40 heures et l’école obligatoire et gratuite jusqu’à l’âge de 14 ans, limitant ainsi le travail des enfants. Jusqu’en 1936, il était possible de les employer entre 8 et 12 heures par jour selon l’âge.

Rappelons que le Front populaire s’inscrit dans une période marquée par  une crise économique majeure. A l’usine, on travaille au minimum 48 h par semaine, les cadences sont infernales mais on fréquente de plus en plus la soupe populaire. Dans un climat politique délétère, le 6 février 1934 éclate, autour du Palais Bourbon, une violente manifestation conduite par des groupes fascistes qui va vite dégénérer. On dénombre 15 morts et 1500 blessés. Cet épisode provoque la chute du gouvernement d’Edouard Daladier (parti radical-socialiste). La SFIO, le parti radical et le parti communiste s’unissent pour défendre la République menacée par les violences de ces ligues d’extrême droite et la crise économique. Les municipales de mai 1935 sont marquées par une forte poussée de la gauche. Le 14 juillet qui suit, une grande manifestation rassemble les trois principaux partis politiques de gauche, la SFIO, le parti radical et le parti communiste. C’est la naissance du Front populaire, qui remportera les élections législative, le 3 mai 1936,  avec à sa tête, Léon Blum.

Son arrivée au pouvoir va provoquer d’imposantes manifestations sur fond de revendications. La situation s’embrase alors que des patrons licencient ici et là les ouvriers grévistes. Contre cette autorité de « droit divin », la riposte va être cinglante. Une première grève éclate dans les usines d’aviation Bréguet du Havre. Détonateur d’un mouvement de contestation inouï, elle va atteindre tous les secteurs. Partout, les lieux de travail sont occupés. Les ouvriers asservis pendant des mois et des années, qui ont travaillé dans des rythmes épuisants, de manière fragmentée et abêtissante, se relèvent avec dignité pour dénoncer haut et fort leurs mauvaises conditions de travail, leurs salaires trop bas et leur peur viscérale du chômage. Ces grèves sont pour eux, un véritable cri de délivrance.

Alors que tout semble possible, la guerre civile Espagnole vient ébranler cet équilibre. Les forces d’opposition, avec à leur tête le général Franco qui bénéficie du soutien de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, organisent un soulèvement. En France, l’unité du Front populaire se divise face au refus du gouvernement de Léon Blum d’apporter une aide aux Républicains espagnols. Des milliers de volontaires antifascistes « les Brigades internationales », conscients qu’en défendant l’Espagne ils protègent la liberté pour leur propre pays, vont alors prendre les armes pour se battre à leurs côtés.  Le Parti communiste français a d’ailleurs joué un rôle de premier plan dans la constitution des Brigades.

Léon Blum qui subit les pressions des milieux financiers, proclame la pause des réformes sociales en février 1937. Le temps n’est plus à la quiétude. Le Front populaire n’aura duré que mille jours. On entend des voix s’élever pour dire « plutôt Hitler que le Front populaire » !

Rappelons-nous que c’est Pierre Pucheux, patron des patrons, qui devient ministre de l’intérieur du gouvernement de Vichy. Il fera payer cher aux syndicalistes ce recul imposé pendant le Front populaire. C’est lui qui établit la liste des fusillés de Chateaubriand dans laquelle figurent six secrétaires généraux de fédérations de la CGT.

Mais les années de guerre ne vont pas effacer l’esprit de conquêtes du Front populaire. Les idées essentielles seront reprises dans le programme du Conseil national de la Résistance de mars 1944.

Si la période du Front populaire demeure profondément ancrée dans la mémoire collective, c’est parce qu’elle a réellement fait chanceler le capitalisme. Grâce à l’unité syndicale et politique, des conditions de travail et de vie plus humaines ont émergé de cette période. Les réformes sociales qui en ont découlé, ont bouleversé la société française et marqué durablement l’histoire. Une époque féconde emplie d’avenir où le travailleur est considéré comme un être humain et non comme une variable d’ajustement ou un rouage de la production mécanique. Un élan populaire qui s’est amarré au fil du temps grâce à notre exceptionnel héritage révolutionnaire.

Que reste-t-il aujourd’hui sinon le démantèlement progressif et non moins violent de tous les acquis durement gagnés au fil du temps : retraites par répartition, privatisation du système de santé, durée légale du temps de travail en augmentation, libertés individuelles reniées, liquidation des services publics et du code du travail, recul des droits des femmes…

La gravité de l’attaque portée au monde du travail, aux salariés, à la jeunesse, à l’emploi et au syndicalisme témoigne de ces attaques successives au nom du seul profit, à l’instar du projet de loi gouvernemental « El Khomri » qui tente de dynamiter le code du travail. Ce texte organise un retour en arrière considérable et dilapide les conquêtes sociales acquises de haute lutte : fin de la durée légale du temps de travail, congés payés facultatifs, licenciements facilités, contournement de l’obligation de majorer les heures le dimanche, risques encourus par les licencieurs abusifs réduits, médecine du travail broyée tout comme les prud’hommes et les institutions représentatives du personnel…

Comme en 1936, prenons la parole pour refuser ce libéralisme mondialisé dominé par la finance et les puissants. Reprenons la main faute de quoi, République et Démocratie nous seront confisquées au bénéfice des intérêts privés d’une caste qui s’empare des richesses pour sa seule ambition personnelle.

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